mercredi 8 février 2012

LA ROUSSE

J’ai déjà signalé[1] que vers la fin de ce qui est considéré comme mon « parcours professionnel », j’intervenais, auprès de jeunes délinquants incarcérés.
En 2003,[2] j’ai participé à alimenter en textes un « blog » ouvert aux personnes de « ma » promotion, intervenant auprès de jeunes sur décision judiciaire.
Il m’arrive de revenir sur l’un ou l’autre de ces textes, et de redonner ainsi à lire, ou à relire, ce que j’ai déjà donné.
En voici un de ces textes[3] :
« Au tribunal, il[4] est tombé sur la juge qui a horreur de la délinquance des jeunes.
La rousse aux yeux verts, qui envoie toujours en prison.
L’avocat qui lui a été servi n’était pas frais et empestait la vin-aigrette.
L’éducatrice se voit encore dans un meeting du neuf trois[5] sur « Spartacus » et continue de délirer sur son sein-dit-cas[6] en se grattant le derrière, pour faire sentir sa pro-position d’alternative à l’enfermement.
Il n’en revient pas.
Tout ce monde « pour lui ».[7]
« Les ducs à tiffes » c’est quelque chose, n’est ce pas ?
C’est important.
Ça remonte « au temps où les dromadaires avaient des ailes et les grenouilles des plumes ».
Aux temps zimmémoriaux.
Bien avant le thon des soeurs Ize.[8]
Il en parlera un jour peut-être, au moment pro-pisse.[9]
La juge, malgré ses yeux verts, lui a jeté un regard noir.
Il n’a pas cherché à l’attraper, ni à le ramasser lorsqu’il est allé tâter le sol couleur de jurisprudence.
Ce regard est resté sans effet sur son humeur qu’il n’est pas aisé de saisir.
Le petit bout de lingerie dit cul-otte que la juge laisse entrevoir entre ses jambes juridiquement écartées, a souvent le teint rouge et noir de la couverture du code de procédure pénale, affalé, comme essoufflé sur le bureau.
Ces pensées zéro-tiques[10] furent arrêtées par la rousse aux yeux verts au moment où elles allaient lui chatouiller l’entre-cuisses et porter ainsi atteinte à sa profondeur de femme publique, investie d’une miss-ion d’intérêt général.
Croisant ses gui-boles, elle a enchaîné d’une voix de chienne policière dans l’exercice de ses fonctions :
─ Lorsque vous quitterez la prison, puisqu’il faut bien la quitter, n’oubliez surtout pas que pour vous, aucun écart ne restera impuni.
C’est l’épée de Damoclès.
À bon entendeur salut.
─ Je n’ai pas oublié, a dit le jeune, et je n’ai pas arrêté d’y penser.
Les pets de dame Oclès.
Ça me fout les tonsje.[11]
J’ai connu dame Oclès à Roubaix.
J’étais petit.
Elle m’impressionnait et j’avais peur de me trouver seul avec elle.
Je ne me souviens plus de ce que je faisais dehors, la nuit, lorsque je suis tombé sur elle.
Au tournant d’une rue.
Elle me visait et ses pets, comme des tirs de flingue, ont failli m’atteindre.
J’ai dû faire appel à toute ma souplesse ancestrale[12] pour les semer.
En les semant, ils repoussaient instantanément, et dame Oclès se réapprovisionnait comme elle voulait et continuait ses tirs.
À la gare ferroviaire, j’ai eu du répit.
Une voix d’hôtesse de l’air ménopausée annonçait le départ immédiat du TGV[13] au quai IVG,[14]comme avortement.
Mon coup a avorté d’ailleurs puisque j’ai raté le train.
Je ne suis pas de ceux qui le prennent en marche ou qui attendent l’autre.
Un steward au ton constipé annonçait un départ au quai C comme chébran.[15]
En passant devant la salle d’attente, une nnasseco[16] aux yeux de look-homme[17] s’est tout de suite inquiétée :
─ T’as paniqué ?
─ Non, j’ai pas niqué.
En racontant ma nuit agitée au mec chargé de mon suivi en détention, il a demandé que je sois autorisé à le retrouver à la bibliothèque.
Lorsque je l’ai retrouvé, il m’a tendu un dictionnaire Larousse :
─ Cherche Damoclès et lis ce qui est écrit.
Au bout d’un certain temps et de pas mal de remue-méninges, j’ai fini par faire semblant de croire que le dictionnaire Larousse n’est pas de la même téci[18] que la rousse du tribunal qui a décidé de m’envoyer en prison.
J’ai donc décidé d’accepter Larousse.
Puis, au bout d’un autre temps, peut-être plus long, j’ai fini par trouver ce que le mec chargé de mon suivi en détention, m’a demandé :
─ « Damoclès, familier du tyran de Syracuse, Denys l’Ancien (IVème s. av. J.C.).
Je me suis arrêté de lire.
De ce qui est entre parenthèses, je n’ai compris que J.C., Jacques Chirac.[19]
Je l’ai dit au mec chargé de mon suivi en détention :
─ T’arrêtes de faire le onc[20] et continues de lire.
« Pour lui faire comprendre combien le bonheur des rois est fragile, Denys, au cours d’un banquet, fit suspendre au dessus de la tête de Damoclès, une lourde épée attachée à un crin de cheval ».
─ Chapeau, ou béret, comme tu dis.
Tu vois, quand tu veux, tu peux, ou comme dirait ton copain J.C. « quand on veute, on peute ».[21]
Tu piges maintenant pourquoi la juge, la rousse, qui n’a rien à voir avec le dictionnaire, t’a parlé de l’épée de Damoclès ?
C’est pour que tu te mettes bien dans ce qui te sert de crâne, que t’es mal barré et qu’à la moindre connerie t’en auras encore sur la gueule.
Et tu sais très bien qu’avec la juge, pas Larousse, c’est pour de vrai.
Pas parce qu’elle a horreur des jeunes délinquants ou qu’elle se permet certains écarts bien connus, mais tout simplement parce qu’elle applique ce que sa position lui permet d’appliquer.
L’Etat de Droit, tu connais ?
─ Les tas de droits, la miss-ion d’intérêt général, les pets de dame Oclès, c’est ouf.[22]
Mon rire et le rire du mec chargé de mon suivi en détention, ces rires qui ont ce jour-là secoué les murs de la Maison d’Arrêt,[23] sont aujourd’hui dans le livre des records.
Quelques jours plus tard, il s’est passé ceci :
Au parloir, dame Oclès est arrivée pour voir son fils.
Au bout d’un moment, elle a entonné un chant.
Ce chant a été entendu par tous les détenus ainsi que par les corbeaux et les mouettes, en grand nombre, qui viennent se nourrir de ce que les prisonniers leur « transmettent » à travers les barreaux.
Des détenus précisent que ces corbeaux et ces mouettes reprennent en choeur dans le ciel, ce chant inoublié.[24]

BOUAZZA


[1] Se reporter à mon texte intitulé "Encore sur la quiétude".
[2] Selon le calendrier dit grégorien.
[3] Intitulé "Les pets de dame Oclès", dans le CD intitulé "Les ducs à tiffes".
[4] Le jeune délinquant.
[5] Le 93, département de la Seine-Saint-Denis, dans la région parisienne.
[6] Syndicat.
[7] L’éducatif.
[8] "Le temps des cerises", chanson de 1866 considérée comme une chanson "engagée" concernant le soulèvement populaire dit "Commune de Paris" qui lui, date de 1871 !
Elle a été reprise par des artistes, toutes tendances confondues, et continue de l’être.
C’est une "référence" pour la gauche en France.
[9] Propice.
[10] Érotiques.
[11] Les jetons, la trouille, la peur.
[12] Pas la gauloise, l’autre.
[13] Train à Grande Vitesse.
[14] Qui veut dire aussi Interruption Volontaire de Grossesse (avortement).
[15] Branché.
[16] Connasse.
[17] Loukoume (confiserie turque).
[18] Cité.
Des cités des banlieues où sont parquées des populations issues du processus migratoire, considérées comme des merdes en France, et où des jeunes expriment leur colère pour protester contre le traitement qui leur est réservé.
[19] Président de la République à l’époque.
[20] Le con.
[21] Jacques Chirac est connu pour cette manière de s’exprimer, que des humoristes accentuent.
[22] C’est fou, c’est lourd, ça fait chier.
[23] La prison.
[24] Voir :
http://raho.over-blog.com
http://paruredelapiete.blogspot.com
http://ici-bas-et-au-dela.blogspot.com
http://laroutedelafoi.blogspot.com
http://voyageur-autre.blogspot.com

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