samedi 8 octobre 2011

PLUS QU’UN PLAT








Au mois de mai 1970, l’une de mes sœurs est décédée à Lkhmiçaate,[1] dans le « pays Berbère[2] des Zemmour »,[3] au Mghrib[4].
Elle avait vingt-huit ans et était mère de quatre enfants.
Personne de ma famille ne m’a informé de ce décès.
C’était ma première année d’étudiant en France, et paraît-il, il ne fallait pas perturber « mes études » ![5]
Je n’ai appris le décès de cette sœur qu’en juillet.[6]
À un moment de ma marche, j’ai vécu chez elle.[7]
Et c’est avec elle qu’il m’est arrivé de cuisiner.
J’ai beaucoup appris par la simple observation et je me débrouillais assez bien pour l’aider dans les tâches qui étaient les siennes.
Je faisais quelques plats.
Mais c’est en France que je me suis mis sérieusement à cuisiner.
Aujourd’hui, lorsque je fais un couscous par exemple, c’est beaucoup plus qu’un plat.
Un parcours à travers le temps et l’espace.
Je suis comme en communication avec la semoule fine dès que je la libère du paquet, et que je commence à la caresser en la répartissant dans l’ensemble d’un grand plat.
Les sons et les images qui me parviennent font partie d’une immémoriale harmonie.
J’arrose, avec douceur, la semoule d’eau chaude dans laquelle j’ai pris le soin d’ajouter du sel auparavant.
Je mélange avec une cuillère en bois, puis avec les mains lorsqu’elles se plaisent dans la chaleur.
Travail patient pour que les grains soient bien détachés.
Se peut-il que ces grains soient plus précieux que des perles ?
Gestes délicats.
Mes doigts s’enfoncent dans la semoule tiède.
Des sensations multiples.
Des pensées se bousculent au rythme des battements de mon cœur.
Par une sorte d’alchimie, les ondulations de la semoule offrent une fabuleuse fresque avec des signaux qui sentent l’aube de la Vie : un ruissellement de bien-être; une Grâce.
Je mets la semoule dans la partie supérieure de la couscoussière qui fait « passoire », dans laquelle la semoule reçoit, pour la cuisson, la vapeur qui monte de la partie basse de la couscoussière, la marmite dans laquelle cuisent la viande et les légumes.[8]
Au bout d’une trentaine de minutes de cuisson, la semoule est répartie de nouveau dans le plat.
Je la rafraîchis d’un bon verre d’eau pour faire gonfler encore les grains et mieux les détacher. Je prends tout mon temps pour mélanger.
L’opération est renouvelée une deuxième fois, en y ajoutant du beurre ou du « smne ».[9]
La viande et les légumes qui cuisent dans la marmite ont eu, bien entendu, droit à mon intervention.
La viande,[10] une fois nettoyée comme il se doit, est coupée en morceaux, mise dans la partie basse de la couscoussière avec des oignons émincés, du persil et de la coriandre[11] hachés, du safran, du poivre, du sel, de l’huile d’olive en quantité suffisante pour avoir une sauce onctueuse à l’arrivée.
Je laisse revenir.
Je verse de l’eau.
La quantité nécessaire.
J’ajoute des tomates coupées en morceaux, des carottes, des navets.
Je laisse cuire, en même temps que les grains de semoule.
Doucement.
Tranquillement.
Toute une vie s’il le faut.
Un peu avant la cuisson, j’ajoute des morceaux de citrouille lavés, coupés, sans enlever la peau, et des fèves fraîches.[12]
Lorsque c’est cuit, j’adjoins au tout le contenu d’une boîte de pois chiches déjà prêts.
Pour servir, je répartis la semoule dans un plat profond.
La viande, les légumes et la sauce par dessus.
Une merveille.
En offrant ce mets, je remercie Allaah pour ce délice et pour Ses Bienfaits Infinis.
J’ai une pensée pour ma sœur et pour d’autres personnes de ma Matrie,[13] qui ont transmis ces saveurs de l’Amour.[14]


BOUAZZA


[1] Khémisset.
[2] Imaazighen.
[3] Zmmour (Le "r" roulé).
[4] Maroc.
[5] Est-ce pour cela que les cours ont eu encore moins d’intérêt pour moi par la suite ?
Est-ce à partir de ce moment qu’a commencé à se renforcer mon non-désir de "gravir les échelons" ?
[6] Par le premier époux de l’une de mes sœurs, installé à l’époque à Paris.
[7] Elle était gravement malade lorsque j’ai quitté Lmghrib pour entreprendre des études universitaires en France.
Elle avait un cancer (la leucémie).
[8] Dans cette marmite, il est possible de mettre seulement de l’eau, lorsque la viande et les légumes sont mis à cuire dans une cocotte-minute par exemple pour "gagner du temps".
[9] Beurre salé et conservé pendant des mois, voire des années, dit "beurre rance" en France.
[10] Poulet fermier, agneau ou bœuf.
[11] Qzbour (le "r" roulé).
[12] Ou congelées.
[13] Omma, Communauté.
[14] J’ai déjà mis ce texte sur "le net".
La première fois il y a quelques années, sous le titre "Grains de semoule".
Voir :
http://raho.over-blog.com/
http://paruredelapiete.blogspot.com/
http://ici-bas-et-au-dela.blogspot.com/
http://laroutedelafoi.blogspot.com/
http://voyageur-autre.blogspot.com/

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